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  • Photo du rédacteurGaelle Rauche

Mes cahiers de randonnée

Cette année particulière de pandémie, de remise en questionnement et en mouvement, j'ai senti l'appel du chemin, le besoin d'ancrer mes pieds dans la terre mère pour retrouver de la verticalité, sentir la chaleur, le vent, la froideur des ruisseaux, pour revenir à la source.


El camino francés m'a semblé périlleux, quatre années après avoir terminé la via podiensis (la voie du Puy sur le chemin de Compostelle) et avec le désir d'arriver à Santiago, j'ai remis à plus tard la fin de ce voyage pour arpenter le GR70, rendu célèbre par l'écrivain écossais Robert Louis Stevenson.


En 1878, par désespoir amoureux, il s'est lancé dans une randonnée de 12 jours avec une ânesse achetée au Monastier/Gazeille, Modestine. Le chemin officiel part du village, pour arriver à Saint-Jean-du-Gard mais comme nombre de marcheurs, j'ai choisi de partir du Puy-en-Velay, avec la nostalgie du pèlerinage entamé cinq années en arrière.


La question qui me tiraillait était celle de savoir si mon corps allait réussir à me mener à destination, si mes chevilles fragiles, si mon genou boudeur allaient pouvoir me porter pendant 255 km avec des étapes dénivelées. J'ai pris soin d'eux pendant et avant de partir, en allant voir un ostéopathe, et une amie chère à mon coeur qui m'a offert un soin énergétique. Ma trousse de premier secours aurait pu servir de second et de troisième secours, entre les pansements, les médicaments, le baume du tigre, et tout un tas de traitements qui ne m'auront finalement pas servi.


Et à nouveau, je suis partie seule. A la question que l'on me pose souvent... je n'ai pas peur de partir seule en randonnée. Je choisis mon chemin, mes étapes, les personnes avec lesquelles je souhaite marcher, les moments où je préfère avancer seule, m'arrêter, méditer, pleurer ou m'émerveiller sur le vol d'un papillon.


A la deuxième question que l'on me pose aussi et qui n'est pas vraiment une question... un pèlerinage comme Compostelle et une randonnée comme Stevenson, ce n'est pas la même chose. Et je l'ai vite compris, avec une pointe de déception. Pourtant, les deux chemins sont des circuits de Grande Randonnée, pourtant, les marcheurs qui arpentent le Stevenson ont aussi arpenté Compostelle, mais l'esprit n'est pas le même.


Il y a un esprit du chemin, qui nous guide. Un esprit qui nous réunit, peu importe les raisons qui nous ont poussées à partir, à marcher, religieuses, spirituelles, curieuses... il y a une identité commune à chacune et à chacun, nous sommes pèlerins. D'un point de vue étymologique, le pèlerin est l'étranger, celui qui est d'un autre pays. Et dans ce pays, les liens sont habités de manière intime et immédiate, les vies se racontent, les langues se délient, les questions se posent avec simplicité et naturelle. Dans ce pays, on apprend à aider et à recevoir, comme aux époques ancestrales, grâce notamment aux habitants des différentes régions qui accueillent à bras ouverts les pèlerins avec un sourire, un verre d'eau ou des biscuits, laissés sur une table, quelque part entre des champs de blé et des cailloux. On se livre, on se délivre, on écoute son corps, son coeur, on ouvre son esprit et on apprend à accepter, à laisser partir ce qui ne doit plus être, à transformer, à se transformer, à grandir sur des terres habitées d'énergies parfois mystiques. Que celui qui n'a pas été touché par la grâce de Conques, l'abbaye qui s'élève au milieu de la vallée, par les vitraux de Soulages, se lève.


Le chemin de Stevenson est étranger à ce pays. Il est difficile à arpenter, les dénivelés dans les cailloux font mal aux chevilles, aux genoux et aux mollets. Les paysages sont beaux mais peu variés, les villages traversés sont peu nombreux et la terre porte la souffrance aride des camisards, dont la mémoire est encore cachée dans les cimetières attenant aux maisons, et au bord desquels poussent des cyprès. Le souvenir de l'écrivain est vivace dans les sabots des ânes qui arpentent la route, portent les sacs et font la joie des curieux., mais pas d'avantage.


J'ai fait de belles rencontres, partagé des sourires, appris à nouveau à faire confiance à la vie, mais j'ai aussi nourri beaucoup d'angoisses et de peurs. J'avais oublié... il n'est pas facile de sortir de sa zone de confort, je n'ai pas dormi pendant les quatre premières nuits, refaisant le trajet, les étapes, les kilomètres, les hébergements. Et, j'ai souffert du dos... de manière lancinante, refusant d'abord de faire porter mon sac. Arrêter. Je pensais à arrêter à peine en marche, à 7h30 le matin, alors que la fraîcheur me donnait le sourire. Arrêter. Avec cette impression de ne pas être à la hauteur, désagréable, lancinante comme mon dos. Ce que je n'aurai pas fait sur le chemin de Compostelle, où la tradition de pénitence reste fortement ancrée, j'ai finalement accepté d'alléger mes épaules, et tout le reste de moi m'aime en composant timidement le numéro de la malle postale, à laquelle j'ai expliqué que j'étais "à bout". La jeune femme a ri de bon coeur, elle m'a dit qu'ils allaient m'aider en m'enlevant un poids, j'ai ri aussi en donnant mon numéro de carte de crédit.


Le cinquième jour, je suis repartie plus sereine, prête à ouvrir les yeux autour de moi et à accueillir le jour. Prête à me laisser traverser par les mots, la musique des gouttes, les vallées, les prairies, avec comme allié mon bâton de pèlerine. Et au bout de 12 jours, 3 livres, des framboises et des mûres cueillies en chemin, des dîners fait maison, avec des légumes, du pain, des yaourts fait maison, avec douleurs aussi, je suis arrivée à Saint-Jean-du-Gard, fière. D'avoir continué, réussi, souri, accepté d'être aidée, et d'avoir appris en corps et encore sur la vie, ce qu'elle nous réserve quand on avait prévu autre chose.













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